
Le vent faisait rage cette nuit là. Un grain urbain ébranlait ardoises et cheminées tandis qu'une tempête mal lunée déracinait les arbres des parcs et balançait les ponts suspendus comme s'il s'agissait de cordes à sauter. Eole, le maître des Vents, lâcha Borée qui battit de ses ailes sombres et envoya de grosses rafales sur Londres et les Home Counties. Des vieilles dames furent emportées et tourbillonnèrent dans les airs comme des feuilles d'automne desséchées. Les petits oiseaux furent enlevés à leurs branches et lancés et renvoyés comme des volants de badminton d'un bout à l'autre de l'Oxfordshire et du Gloucestershire. Les vaches furent soufflées au-dessus des champs et les cochons se mirent à voler dans le Berkshire. Tous les chiens du Buckinghamshire devinrent fous à essayer de se mordre la queue.
Les poumons gonflés à bloc de Borée se vidèrent et son souffle arracha les enfants à leurs berceaux. Lorsqu'il inspira, poissons et grenouilles furent tirés de leurs rivières et de leurs étangs vers les cieux. Quand enfin les vents s'apaisèrent, les poissons volants, les grenouilles à qui la peur avait donné des ailes et les enfants qui s'étaient mis à voler de leurs propres ailes retombèrent en pluie sur la ville, sauf qu'ils étaient désormais pêle-mêle, et qu'à la place de son nourrisson en pleurs un père affolé se retrouvait en train de serrer une truite frétillante ou un gros saumon (et même dans un cas un marsouin surpris) dans ses bras, tandis que partout on découvrait des petits enfants: flottant sur des feuilles de nénuphar, prisonniers de joncs et de roseaux ou chevauchant les vagues avec l'habileté de dauphins.
(...)
Kate Atkinson, "La maîtresse du chat", nouvelle du recueil C'est pas la fin du monde, éditions de Fallois 2003.
Jolie description de tempête... et la suite de la nouvelle est à la hauteur! Dans ce recueil les personnages s'entrecroisent et au hasard des pages, on retrouve avec plaisir dans une nouvelle un personnage qui, du fait qu'il a été rapidement évoqué dans l'une des précédentes, nous semble une vieille connaissance, voire un familier. L'auteur nous prend par la main et mêle le fantastique au réel de telle sorte que l'on ne s'étonne plus de rien, si ce n'est, éventuellement, du réel...
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